La lutte pour un Moyen-Orient des droits de l'homme et de la démocratie UERPS2023

Je voudrais parler des développements démocratiques plus connu comme le Mouvement pour la liberté du peuple kurde. Des développements qui ont fait du Rojava - ou Administration autonome du nord et de l'est de la Syrie - une source d'espoir pour le Moyen-Orient et une source d'inspiration partout dans le monde.

 

L'héritage du colonialisme n'a pas été propice au développement de la démocratie au Moyen-Orient, comme nous l'a rappelé samedi dernier le 70e anniversaire du coup d'État, parrainé par les Britanniques et les Américains, qui a chassé le premier ministre élu de l'Iran après qu'il eut nationalisé l'industrie pétrolière iranienne. Les mouvements susceptibles de menacer la domination politique et économique de l'Occident ont été étouffés et les divisions interethniques ont été renforcées par le recours à la méthode "diviser pour régner".  Dans ce contexte difficile, le mouvement kurde pour la liberté a semé les graines d'une démocratie radicale qui, selon nous, peut servir de modèle à l'ensemble de la région. En tant que développement indigène du Moyen-Orient, que l'on peut observer dans la pratique, cette démocratie peut être mieux accueillie que les systèmes développés par les anciennes puissances coloniales. De plus, cette démocratie s'attaque spécifiquement aux tensions ethniques, ainsi qu'à la soumission des femmes qui a marqué de nombreuses sociétés au Moyen-Orient.

 

Les idées qui inspirent le Rojava sont des idées que nous avons essayé de mettre en pratique en Turquie également, par l'intermédiaire du Parti démocratique des peuples (HDP) dont je suis le représentant auprès des institutions européennes à Strasbourg, mais une grande partie de ce que nous avons réalisé là-bas a été délibérément détruit par un gouvernement hostile et de plus en plus autocratique.

 

La patrie kurde, comme vous le savez probablement, est divisée en quatre principales parties depuis 100 ans. Il n'existe pas d'État kurde, mais des régions à majorité kurde en Turquie, en Iran, en Irak et en Syrie. Le Kurdistan est une colonie internationale et dans chacun de ces États, les Kurdes ont souvent été opprimés, brutalisés, assimilés. 

Le mouvement moderne pour la liberté du peuple kurde a commencé par une lutte anticoloniale pour l'indépendance dans la Turquie des années 1970, mais au cours des deux dernières décennies, il s'est transformé en un mouvement pour une démocratie radicale partant de la base. Ce changement d'approche - inspiré par les écrits du leader kurde emprisonné, Abdullah Öcalan - est à la fois idéologique et pratique. Notre mouvement est un mouvement contre les hiérarchies et nous considérons l'État-nation comme un mécanisme de renforcement de la hiérarchie. Mais nous reconnaissons que nous vivons et pratiquons notre politique dans un monde d'États-nations, et que cela ne changera pas dans un avenir proche. Sans modifier les frontières, nous voulons faire en sorte que les citoyens aient un maximum de contrôle sur leur vie et leurs communautés locales, et que les structures de l'État perdent de leur importance. Il ne s'agit pas tant d'un transfert de pouvoir que d'un renforcement de l'engagement actif de la base. La politique cesse d'être étrangère pour nous, et devient partie intégrante de la vie quotidienne.

 

Au Rojava, le manque de pouvoir consécutive lors de la guerre civile syrienne a permis aux Kurdes syriens et à leurs voisins de prendre le contrôle, mais 11 années de conflit ont fait que rien n'a été facile. Peu de temps après avoir déclaré son autonomie, le Rojava a dû se défendre contre ISIS. Il a ensuite été attaqué par la Turquie, qui a occupé de vastes zones et les a confiées au contrôle de milices islamistes brutales. Le Rojava a perdu 12 000 personnes en défendant la région et en libérant la Syrie de l’ISIS. Beaucoup d'autres ont été blessées, et des bâtiments et des infrastructures ont été détruits. Les invasions turques ont entraîné des centaines de milliers de personnes à quitter leur logement, et l'administration s'est également retrouvée en charge de milliers de combattants de l’ISIS capturés et de dizaines de milliers de membres de leurs familles. D'énormes quantités de ressources et d'énergie humaine doivent être dépensées pour la défense. Un cessez-le-feu était censé être en vigueur, mais cela n'a pas empêché la Turquie de mener des attaques quotidiennes contre des villages frontaliers et de procéder à des assassinats ciblés de personnalités de l'administration. Cela n'a pas non plus empêché la Turquie de commettre un crime de guerre flagrant en réduisant le débit de l'Euphrate et en fermant la station de pompage qui approvisionne en eau un million de personnes à Hasakah. L'insécurité causée par les attaques de la Turquie encourage le recrutement des nombreuses cellules dormantes de l’ISIS qui subsistent. Il n'est pas facile de construire une nouvelle société dans ces conditions.

 

La démocratie au Rojava est encore en grande partie un travail en cours. Non pas qu'une forme sociale soit statique, mais tout le monde au Rojava reconnaît qu'il y a encore beaucoup à faire avant que la situation sur le terrain ne commence à répondre aux ambitions de la population. Les droits des femmes et l'intégration des différents groupes ethniques et religieux sont deux domaines dans lesquels le Rojava a pu avoir un impact majeur sur la vie des gens. Chaque organisation doit être coprésidée par un homme et une femme, mais les femmes sont impliquées à tous les niveaux et beaucoup d'énergie est consacrée au changement des vieilles attitudes patriarcales. L'accent est également mis sur l'encouragement de la participation active, à tous les niveaux des structures démocratiques et communautaires, de personnes d'ethnies et de religions différentes.

 

L'écologie est un autre principe fondamental. Les circonstances ont fait qu'il est plus difficile d'y répondre - d'autant plus que le pétrole est l'élément vital de la région - mais les structures communautaires pourraient faciliter les choses à long terme. L'organisation mutuelle s'étend aux éléments de l'économie, l'accent étant mis sur la production en fonction des besoins et l'encouragement des coopératives.

 

L'administration autonome affirme que son concept d'autonomie régionale pourrait servir de modèle pour organiser l'ensemble de la Syrie et rassembler les différentes composantes du pays. Mais, jusqu'à présent, le président Assad a refusé d'envisager toute diminution du pouvoir centralisé. Et dans les réunions internationales sur l'avenir de la Syrie, l'administration autonome n'a pas été admise à la table des négociations.

 

Je me suis concentré sur la Syrie parce que, malgré tout, l'administration de ce pays a été en mesure de mettre en pratique un plus grand nombre de ces idées démocratiques, mais ce sont les mêmes idées que nous avons essayé de mettre en œuvre dans les municipalités du HDP en Turquie - jusqu'à ce que le gouvernement supprime tous nos maires élus et les remplace par des administrateurs nommés par le gouvernement.

 

Il y a beaucoup de forces qui ne veulent pas que nous réussissions, mais il y a aussi de plus en plus de gens qui, lorsqu'ils voient ce que nous essayons de faire, reconnaissent son potentiel pour améliorer la vie, et pas seulement au Rojava ou en Turquie. 

 

Fayik YAZIGAY, délégué auprès de l’Union Européenne du HDP (Halkların Demokratik Partisi / Parti démocratique des peuples)