« L’Union européenne voudra-t-elle se regarder dans le miroir de l’Etat de droit que lui tend la Catalogne ? »

Quatorze parlementaires dont ceux rattachés politiquement à Régions et Peuples Solidaires, Jean-Félix Acquaviva, Michel Castellani, Paul-André Colombani et Paul Molac s’alarment, dans une tribune initiée par Sébastien Nadot au « Monde », du fait que la justice espagnole bafoue les traités européens, en demandant l’extradition de trois eurodéputés catalans

TRIBUNE | Collectif

Le 4 décembre 2020, la Cour suprême espagnole a révoqué la mise en liberté conditionnelle de neuf prisonniers politiques catalans, liberté partielle qui leur permettait de travailler en dehors de la prison et qui leur avait été accordée et ratifiée par trois juges d’application des peines. Les lourdes condamnations à des peines de neuf à treize années de prison pour délit de sédition, et l’intransigeance de Madrid dans leur application, illustrent l’état du dialogue entre pouvoir central espagnol et pouvoir régional catalan.

 

Dans l’emprisonnement de l’ancienne présidente du Parlement catalan Carme Forcadell, de l’ancien vice-président catalan Oriol Junqueras, de ministres régionaux et leaders associatifs et dans les nombreuses autres affaires en justice en cours, on pourrait ne voir qu’affaires espagnoles.

 

Bouclier protecteur

 

A vrai dire, il n’est guère de leader catalan en responsabilité en 2017, lors du référendum pour l’indépendance de la Catalogne puis sa proclamation, qui n’ait été inquiété depuis par la justice espagnole. La justice européenne semble être un bouclier protecteur pour les leaders catalans, comme le démontre le récent rejet de la justice belge à renvoyer en Espagne l’ancien ministre de la culture catalane Lluís Puig. Déjà en 2018, la justice allemande avait refusé de renvoyer l’ancien président Carles Puigdemont pour sédition, le même motif qui a mené ses collègues restés en Espagne à des condamnations.

 

De même, la récente destitution du président du gouvernement de Catalogne Quim Torra par la Cour suprême espagnole pour désobéissance, menant droit à des élections anticipées au Parlement catalan, pourrait laisser penser à quelques querelles de clocher qui, parce que par-delà les Pyrénées et la frontière, ne nous concernent pas.

 

La France reconnaît et respecte pleinement la souveraineté de l’Espagne et ne saurait par conséquent s’immiscer dans les affaires intérieures espagnoles.

 

Cependant, les exils politiques de Catalans, à Bruxelles, Genève ou en Ecosse, ont internationalisé la question. Par-delà l’indépendantisme, la question catalane s’impose désormais dans une réflexion plus large, française mais surtout européenne, avec l’élection – et sa contestation par le pouvoir espagnol – en 2019 des députés européens Carles Puigdemont (ancien président de l’exécutif catalan), Toni Comín (ancien ministre de santé régional), Clara Ponsati (ancienne ministre de l’enseignement du gouvernement de Catalogne) et Oriol Junqueras.

 

Demande de levée d’immunité

 

L’affaire est préoccupante puisque la justice espagnole s’est assise sur l’arrêt de principe de la Cour de justice de l’Union européenne du 19 décembre 2019, lequel affirmait qu’Oriol Junqueras était bien député et disposait de l’immunité parlementaire dès la proclamation des résultats des élections européennes. Aujourd’hui, Oriol Junqueras n’est plus député européen, en dépit de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Que dire également à ces deux millions d’Européens qui ont voté pour ces quatre eurodéputés obligés de laisser leur siège vide pendant six mois ?

 

En janvier 2021, le Parlement européen entamera l’examen de la demande de levée d’immunité parlementaire formulée par l’Etat espagnol contre des trois députés européens avec pour fin d’obtenir leur extradition vers l’Espagne.

 

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Si les parlementaires européens, en proie à des pressions politiques intenses sur le sujet, en venaient à lever l’immunité parlementaire de Puigdemont, Comín et Ponsati, après avoir déjà abandonné Oriol Junqueras au sort que la justice nationale espagnole lui réserve, qu’est-ce que cela signifierait ?

 

Les traités européens ont défini l’eurodéputé comme détenteur d’un mandat représentatif, une forme de mandat politique qui possède la caractéristique d’être général, libre et non révocable. Il repose sur une nomination électorale représentative et non sur une désignation par une autorité supérieure.

 

Sentiment douloureux

 

Une fois élu, sur la base de circonscription électorale, le député européen devient le représentant de tous les citoyens de l’Union européenne. En clair, les députés Puigdemont, Comín et Ponsati sont aujourd’hui tout autant représentants de chaque citoyen français que le sont Nathalie Loiseau, Yannick Jadot, Jordan Bardella, François-Xavier Bellamy, Raphaël Glucksmann ou Manon Aubry !

 

Sous la présidence de l’Allemagne, le Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020 vient de rappeler que l’Union européenne, ses Etats membres et ses institutions sont tous déterminés à promouvoir et à respecter les valeurs sur lesquelles l’Union est fondée, y compris l’Etat de droit, telles qu’elles sont énoncées dans les traités.

 

Le risque existe à ne pas vouloir examiner la situation catalane en fonction du droit mais sur d’autres critères bien plus politiciens. Il y a d’abord ce danger de jeter le discrédit sur la CJUE, laquelle vient pourtant d’être placée au cœur du compromis entre plan de relance budgétaire et Etat de droit en Hongrie et en Pologne. Il y a ensuite ce sentiment douloureux, qui pourrait être renforcé, que l’Etat de droit au sein de l’Union européenne est à plusieurs vitesses, protégeant un premier cercle et stigmatisant les derniers entrés dans l’Union.

 

L’Union européenne et ses chefs d’Etat ont jusqu’ici préféré regarder ailleurs, au prétexte que prendre position sur la Catalogne risquait de fissurer l’Espagne. Mais aujourd’hui, cette fissure existe, et continuer à détourner le regard risque fort d’entamer le capital démocratique et cette position de vigie impartiale de l’Etat de droit que détient l’Union européenne.

 

L’Union européenne voudra-t-elle se regarder dans le miroir de l’Etat de droit que lui tend la Catalogne ?

 

Les signataires : Jean-Félix Acquaviva (Haute-Corse, Libertés et territoires) ; Clémentine Autain (Seine-Saint-Denis, LFI) ; Moetai Brotherson (Polynésie française, Gauche démocrate et républicaine) ; Marie-George Buffet (Seine-Saint-Denis, Gauche démocrate et républicaine) ; Michel Castellani, (Haute-Corse, Libertés et territoires) ; Annie Chapelier (Gard, Agir ensemble) ; Paul-André Colombani (Corse-du-Sud, Libertés et territoires) ; Frédérique Dumas (Hauts-de-Seine, Libertés et territoires) ; Yannick Kerlogot (Côtes-d’Armor, LRM) ; Régis Juanico, (Loire, PS) ; Paul Molac (Morbihan ; Libertés et territoires) ; Sébastien Nadot (Haute-Garonne, indépendant) ; Richard Ramos (Loiret, Modem) ; Bénédicte Taurine (Ariège, LFI).