Catalogne L’assommoir judiciaire va réveiller le désir de liberté

L’Etat espagnol a instrumentalisé son Tribunal Suprême pour essayer d’anéantir « l’esprit catalan », cette soif d’Europe et de liberté qui s’est propagée en Catalogne durant les neuf ans du « processus », depuis la décision de la Cour Constitutionnelle espagnole, en juin 2010, d’annuler le nouveau statut d’autonomie de la Catalogne, pourtant adopté par les Cortès de Madrid, et validé par le vote des Catalans lors d’un referendum. Depuis l’Etat est dans une posture de déni des revendications démocratiques du peuple catalan, et l’Espagne se barricade dans son héritage franquiste.

 

Neuf années de prison pour avoir dirigé des associations pacifiques comme Omnium Cultural ou l’Assemblée Nationale Catalane, onze années de prison pour avoir présidé la séance de l’Assemblée catalane qui a proclamé l’indépendance voulue par l’écrasante majorité de ceux qui, par millions, malgré les intimidations et la répression, ont voté lors du referendum du premier octobre 2017, de dix à treize ans de prison pour les membres du gouvernement catalan qui, de par leurs fonctions électives, ont pris la responsabilité d’organiser une consultation démocratique : le verdict du Tribunal Suprême a versé dans la démesure la plus totale. Par exemple, 10,5 années de prison ont été infligées à celle qui était Ministre de l’Education pour avoir permis que les écoles servent de salles de vote !

 

Ces condamnations sont d’autant plus révoltantes qu’elles visent à écarter de la vie politique par des peines équivalentes d’interdiction de droits civiques des leaders que les Catalans ont largement réélus lors des élections législatives et européennes qui ont eu lieu en avril et mai dernier, alors que se déroulaient les audiences du procès.

 

A l’annonce du verdict, un vent de révolte s’est mis à souffler sur la Catalogne avec des dizaines de milliers de manifestants qui ont envahi les rues et qui ont convergé vers l’aéroport international de Barcelona, un des plus grands d’Europe.

 

Ces verdicts aberrants ont sans doute pour intention de décourager la volonté d’émancipation des Catalans. Ils auront l’exact effet contraire, car ils démontrent de manière évidente que le peuple catalan ne peut obtenir justice dans le cadre étatique espagnol. Ou bien cet Etat peut changer de nature, ou bien la quête de liberté catalane ne pourra plus se dérouler qu’à travers un projet d’indépendance. L’Espagne vient de sceller sa propre désagrégation. Elle ne pourra plus être une autorité morale pour les Catalans.

La situation va inévitablement se durcir. Une campagne électorale s’ouvre pour de nouvelles élections législatives, celles d’avril dernier n’ayant pas réussi à déboucher sur un gouvernement en Espagne, faute de majorité. L’indignation va se traduire dans les urnes, tandis que la revendication d’une amnistie totale des condamnés est d’ores et déjà posée comme décision préalable à la tenue d’un dialogue politique.

 

L’Europe a désormais une responsabilité claire : créer les conditions d’un dialogue démocratique sur l’avenir de la Catalogne. Elle avait eu ce courage politique en Irlande du Nord, en accompagnant les tractations qui ont conduit aux accords de paix du vendredi saint. Vingt ans plus tard, peut-elle le refuser aux Catalans ?

 

Certes, depuis vingt ans, elle a glissé vers une « Europe des Etats », simple assemblage ou juxtaposition d’entités historiquement obsolètes. Mais, le Brexit l’a mis en évidence, elle ne peut impunément décevoir les peuples et leurs attentes, et elle ne peut se contenter de son statut actuel, à la botte de gouvernements de plus en plus dirigés par les intérêts des castes étatiques.

 

La Catalogne est au cœur de l’Europe. Elle va cristalliser un débat fondamental pour l’avenir. L’Europe devra s’en saisir.

 

François ALFONSI, député européen Régions et Peuples Solidaires (groupe Verts / ALE)