Catalunya: les urnes, la rue et le Tribunal Suprême

On savait les Catalans capables de mobiliser dans les rues de Barcelone des manifestants par centaines de milliers, et même bien plus d’un million. Ils avaient été 60.000 à Bruxelles en 2018 pour faire pression sur l’Union Européenne. Ils étaient le double ce week-end, 120.000, à Madrid, venus dire sous ses fenêtres au Tribunal Suprême que le procès en cours contre ses dirigeants était définitivement illégitime. Ce qu’Oriol Junqueras a clairement exprimé : « l’avenir de la Catalogne se décidera dans les urnes, pas au Tribunal Suprême ».

 

Le pari de la mobilisation de Madrid ce samedi 16 mars était risqué, car organiser une telle manifestation « en terrain adverse » est toujours délicat. L’Assemblée Nationale Catalane qui en a pris l’initiative a fait une nouvelle fois la preuve de sa capacité exceptionnelle à organiser des évènements d’une ampleur inégalée en Europe, et à en maîtriser le déroulement sans la moindre bavure. Encore une fois les mots d’ordre ont été parfaitement suivis, particulièrement celui d’une démonstration nombreuse et pacifique,  venue soutenir la position de ceux qui, durant leur procès devant le Tribunal Suprême, dénoncent le déni de démocratie de l’Etat espagnol face à la volonté que le peuple catalan a exprimé dans les urnes du referendum le 1er octobre 2017.

Le procès pinaille jour après jour sur les détails d’un processus d’autodétermination illégal aux yeux de la loi espagnole, mais rendu légitime par l’adhésion largement majoritaire du peuple catalan. Jour après jour, le théâtre judiciaire apparaît de plus en plus « hors sol » face à la montée de ce qui est le fait politique majeur : le peuple catalan rejette définitivement sa légitimité. Il vient de l’exprimer avec éclat dans les rues de Madrid. La falsification des chiffres par la police espagnole, et le black-out médiatique en Espagne et en Europe n’y pourront rien !

Désormais, ce sont les urnes qui vont à nouveau parler ces prochaines semaines. Fin avril, les élections « espagnoles » provoquées par la chute du gouvernement socialiste de Pedro Sanchez donneront un premier « son de cloches ». Quels seront les scores pour les candidats indépendantistes catalans ? Et quel sera leur rôle dans la constitution du futur gouvernement en Espagne ? Un mois plus tard, le 26 mai 2019, les élections européennes, couplées aux élections municipales qui, en Catalogne, seront focalisées autour de la bataille de Barcelone, feront écho aussitôt.

Quand les urnes auront parlé, rien ne pourra plus continuer comme avant. Têtes de liste des élections européennes l’un et l’autre, Oriol Junqueras et Carles Puigdemont seront très probablement élus députés européens. Les juges espagnols auront-ils encore une quelconque légitimité pour poursuivre celui que le peuple vient d’élire ? Quant au Parlement Européen, qui avait refusé l’entrée de ses locaux à Carles Puigdemont, alors qu’il vit librement en Belgique, au nom de prétendus « risques pour la sécurité », comment fera-t-il pour empêcher le nouveau parlementaire européen de siéger ? Au nom de quelle justice ? Au nom de quelle démocratie ?

Le poids des urnes sera donc bien plus déterminant pour l’avenir de la Catalogne que le poids des sentences arbitraires de la justice constitutionnelle espagnole. Au moment de rendre son verdict, d’ici quelques mois, le tribunal sera dans une situation intenable : au nom de quelle légitimité pourra-t-il poursuivre sur la voie de la répression la plus injuste ?

Le processus engagé en Catalogne via la tenue réussie du referendum du 1er octobre 2017 ne pouvait être bloqué que par un seul moyen : le renoncement du peuple catalan. La manifestation de Madrid vient de démontrer qu’il n’en est rien. Déjà les élections de décembre 2017, deux mois après le referendum, avaient reconduit les forces indépendantistes à la tête de la Generalitat. Depuis l’Espagne va de crise en crise, et le peuple catalan de manifestation en manifestation. Un cycle électoral s’annonce pour ces prochaines semaines. Que vaudra le verdict du Tribunal Suprême dès l’instant que les urnes auront parlé ? En se mobilisant en masse, le peuple catalan lui retire toute légitimité.

 

François ALFONSI