Au nom du parti Unser Land, je me permets d’attirer votre attention sur des pratiques pédagogiques locales qui s’apparentent à de la désinformation, au moins par omission. Elles s’expliquent par la méconnaissance assez généralisée, y compris au niveau des enseignants, de l’histoire spécifique de l’Alsace, dont l’Education Nationale semble malheureusement s’accommoder.
Dans certaines écoles alsaciennes, les commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale sont en effet l’occasion de déformations ou d’occultations de l’histoire réelle.
Les soldats alsaciens ont combattu dans leur immense majorité sous l’uniforme allemand. Pourtant, c’est la figure du Poilu qui est rendue familière aux écoliers alsaciens, voire devient leur référence exclusive.
Ainsi les écoles primaires d’Epfig et de Nothalten ont communiqué dernièrement sur leur projet de film, « Frères de frontières », consacré à « l’armistice et la libération de l’Alsace du joug du Reichland » (sic) (DNA du 25.4.2018, édition d’Obernai-Barr-Rosheim). Une photo représente les écoliers sur le site du Hartmannswillerkopf. Entourés par le Souvenir français, les jeunes acteurs portent l’uniforme bleu horizon de l’armée française, au milieu de drapeaux tricolores. Ils chantent la Marseillaise, sans que leur soit proposé un hymne plus adapté : à défaut de l’hymne allemand de l’époque, et malgré l’anachronisme, l’hymne européen.
Si le projet pédagogique est tout à fait honorable, il repose cependant sur des fondements historiques fragiles.
D’une part, on ne peut parler d’un joug qui aurait été imposé par le Reichsland à l’Alsace- Lorraine : le Reichsland, c’était l’Alsace-Lorraine, un Etat autonome au sein de l’Empire allemand, dans lequel la population jouissait d’avantages sociaux et d’une prospérité économique enviables.
D’autre part, l’uniforme porté durant la guerre de 14-18 par les jeunes Alsaciens-Lorrains n’était pour la très grande majorité d’entre eux pas l’uniforme français, mais bien l’uniforme feldgrau de l’Allemagne. Pour cause : ils étaient sujets de l’empire allemand depuis le traité de Francfort de 1871.
A l’automne déjà, un article paru le 29.11.2017 dans les DNA, édition de Molsheim- Schirmeck, nous avait émus. Il relatait l’exercice d’écriture proposé aux enfants de l’Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique (ITEP) de Scharrachbergheim. Ces enfants ont rédigé collectivement une lettre attribuée à un Poilu lyonnais imaginaire. Cette lettre a connu un réel succès, au point de trouver sa place dans un ouvrage de la société d’histoire locale. Elle a été lue lors de la cérémonie locale du 11 novembre, commémorant la fin de la Grande Guerre. Nous nous en réjouissons pour les enfants et leurs éducateurs.
Cependant, nous regrettons le choix d’un soldat non alsacien pour la réalisation de cet exercice. L’enseignement de l’histoire devrait permettre de connaître le passé du territoire où l’on vit, pour donner aux enfants les clés de compréhension de leur histoire familiale et de leur environnement local et régional. Pendant la Première Guerre mondiale, les Alsaciens, qui étaient Allemands depuis plus de quarante ans, ont intégré l’armée allemande de manière tout à fait normale. (Il faut bien évidemment distinguer cette situation de l’incorporation de force des jeunes Alsaciens dans l’armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale, qui fut un crime de guerre contre une population toujours française d’après le droit international.)
Les éducateurs de l’ITEP de Scharrachbergheim ont expliqué leur choix d’un soldat non alsacien par le fait que leurs élèves ne leur semblaient pas « outillés » pour comprendre la situation spécifique de notre région par rapport aux autres régions françaises.
En cette année de commémoration des 100 ans de la fin de la Première Guerre mondiale, un effort pourrait être fourni pour que les enfants des écoles d’Alsace aient accès à une information objective et non tronquée sur l’histoire de leur région et de leurs aïeux.
S’agissant de l’exercice réalisé à l’ITEP de Scharrachbergheim, il pourrait être proposé à toutes les écoles primaires de l’académie de Strasbourg, mais adapté à un soldat alsacien, imaginaire ou réel, originaire de la ville ou du village des élèves. La lettre du soldat alsacien de l’armée allemande pourrait être rédigée soit en français, soit en allemand selon les compétences linguistiques des élèves et le projet pédagogique des enseignants.
Un tel projet – qui pourra être valorisé par des lectures lors des cérémonies du 11 novembre 2018, avec une éventuelle mise en parallèle de destins français et alsaciens (allemands) – nécessite naturellement d’« outiller » les enfants.
De même, le film « Frères de frontières » gagnerait à coller à la réalité de l’époque, dont personne n’a à rougir : les écoliers découvriraient l’uniforme feldgrau porté par les conscrits alsaciens mobilisés dans l’armée allemande. Autrement il risque fort d’alimenter les conclusions des historiens du futur sur une politique de désinformation voire de propagande entretenue par le milieu scolaire jusqu’au début du XXIè siècle…
Une sensibilisation des élèves à notre histoire particulière et complexe peut susciter des expériences pédagogiques inédites. Dans le respect de la liberté pédagogique, il pourrait être proposé aux enseignants un travail sur les ancêtres de leurs élèves, en tirant parti éventuellement de lettres réelles conservées par les familles.
Des travaux similaires, centrés sur les soldats alsaciens de l’armée allemande, pourraient naturellement être menés et approfondis dans l’enseignement secondaire. L’option de
Culture Régionale paraît particulièrement adaptée pour cela. Nous regrettons la suppression malheureuse de l’heure obligatoire de Langue et Culture Régionale qui existait jusqu’en 2016 dans la filière bilingue en collège. Cette heure était particulièrement propice à l’« outillage » des élèves puisqu’elle permettait la rencontre des connaissances historiques et des compétences linguistiques. Son rétablissement serait opportun.
Il nous semble que l’Education Nationale manquerait à sa mission pédagogique si elle ne s’efforçait pas de rétablir le lien entre les enfants qui lui sont confiés et l’histoire particulière de leur région, leur « Heimet ».
L’Académie de Strasbourg s’honorerait en initiant et en parrainant des démarches qui contribuent à la réconciliation des peuples et à l’approfondissement de l’amitié franco- allemande.
Vous remerciant pour l’attention que vous porterez à ma démarche, je vous prie d’agréer, Madame la Rectrice, l’expression de mes meilleures salutations,
Andrée Munchenbach