Saveriu Luciani: Dans cette Histoire, notre langue est ce qui, un jour, nous aura portés dans ce combat"

Salute a tutti. 

 

Je ne reviendrais pas 40 ans en arrière. On était sur le cours Napoléon, à l’époque. Il y avait 150 prisonniers politiques, ceux du FLN et ceux liés à l’affaire de Bastelica Fesch. J'étais à l'école Normale, où le corse n’était pratiquement pas enseigné. Il était parlé dans la rue, beaucoup dans le rural. Par contre, il n’avait pas droit de cité dans le système éducatif.

 

Ce qui se passe pour la question de la langue, c’est un débat éminent politique.

Ce qui se passe pour la langue, se passe pour l'ensemble des revendications du mouvement national depuis pratiquement un demi-siècle. 

 

 

Je voudrais faire état de ce que nous faisons aujourd’hui en matière de sauvegarde de la langue face à un État qui est fermé à toute avancée politique en la matière.

 

On est devant un État à qui, aujourd’hui, on arrache les droits. Nous sommes les militants d’une construction patiente, et ils le savent.

 

On a essayé de construire en 40 ans un système éducatif qui puisse, à un moment donné, basculer. Le jeu est celui-là : on ne veut pas de co-officialité aujourd’hui, alors nous, nous allons co-officialiser notre action.

 

On est dans un processus de co-officialisation qui se met en route. Beaucoup disent aujourd’hui que ce système est lent, mais c’est difficile de défaire en trois ans ce que le colonialisme a construit patiemment en près de deux siècles.

 

Il faut qu’on aille devant un combat de souveraineté, y compris linguistique. Quand les Français parlent du Québec, ils assument. Et quand ils parlent de la Corse, ils répriment. 

 

C’est important de dire aussi que l’on mène un combat, qu'on le veuille ou pas, que l’on porte vers un processus d’autodétermination dans lequel la langue fait partie intégrante, et, est surtout un des fondements de notre action. 

 

Le militantisme de tous les gens qui sont dans cette salle, et en Corse, remonte à cette langue du pain, qu’est le français, qui interdisait les espaces d’usage à la langue vernaculaire, qui est fondamentale en terme d’appartenance. 

 

Nous ne reparlerons plus jamais la langue de nos grands pères. Ce n’est pas notre but. On parlera la langue qu’on parle aujourd’hui. Et nos enfants parleront peut-être une autre langue. Le corse a évolué, il sera moderne, plus moderne. 

 

Ce que je veux vous dire, c’est qu’on a face à nous un masque démocratique. J'ai rencontré beaucoup de ministres. Nous avons eu des avancées importantes depuis 1988, avec la mise en place du CAPES et de l’agrégation que nous avons arrachée il y deux ans à Mme Vallaud Belkacem, et l'immersion qui aujourd'hui entre dans les écoles publiques. 

 

Mais en face de nous, on a un monolinguisme d’État, opposé à notre volonté de démocratie linguistique. Ce combat, en Europe, il est mené par d’autres Régions d’Europe, par des Gallois, des Catalans, par des Basques… Chez nous, la revendication  remonte à l’entre-deux guerre.

 

Ensuite nous avons eu la circulaire de 1982, le CAPES. Les filières bilingues c'est 1996 et l’agrégation c'est en 2018. Oui, on avance patiemment. 

 

L’immersion bien sûr depuis. Et surtout sous l’ancien gouvernement, du temps où nous étions déjà à la majorité, mais avec la présidence Hollande, nous avons quand-même trois points positifs :

  • L’immersion qui rentre dans les écoles publiques. Avec une immense volonté militante, il faut le dire, on nous laisse faire. Ce sont les militants qui construisent cette stratégie linguistique;
  • Le temps de formation que nous avons demandé à l’État qui concerne à peu près 700 professeurs des écoles du primaire qui est en route à travers le contrat de plan État-Région;
  • L’agrégation pour laquelle nous nous battons et pour laquelle l’État lâche de manière très parcellaire quelques postes. Pour l’instant d’ailleurs, nous n’en avons qu’un. Mais il devrait y en avoir un de plus, certainement, l’année prochaine.

Cela pour dire qu'on a longtemps cru que les Corses n’étaient pas été très préoccupés par la langue. On dit aujourd’hui qu’il ne faut pas confondre ceux qui s’accommodent du luxe d’une civilisation qui meure avec l’entité moderne qu’est le peuple corse qui a besoin de sa langue, d’une part, pour exister, et d’autre part, pour intégrer les populations qui arrivent. 

 

C’est important de dire que la langue corse n’est pas une exclusive. Et le combat des idées est gagné. Aujourd’hui, le nationalisme corse est quelque-chose qui a porté un certain nombre de revendications qui aujourd'hui sont admises par l'ensemble du peuple corse. Et l'élection de décembre 2017 n'est là que pour valider, en quelque sorte, tout ce processus.

 

Enfin, je voudrais vous parler de l’usu, l'usage en français. Nous, nous sommes sommes pour une langue d'usage. En effet, on sait très bien que l’école ne peut pas suppléer à tous les manquements. Le maître mot également, c’est la transmission. 

 

La transmission, on l’a déclinée en y ajoutant, dans notre stratégie, un plan qui s’appelait "Pianu 2020" qui était le plan de l’ancienne mandature. Nous l'avons bien sûr renforcé en moyens, en budgets, et en actions. 

 

Ce plan, il nous permet, avec ce volet sociétal, de faire passer la question de la langue corse, comme le suggérait, à tort, le gouvernement Macron, d’une simple question scolaire, un ghetto éducatif, à un réel plan stratégique d’apprentissage et de pratique du corse. 

 

Tout ça pour vous dire, on est devant un pays qui veut assimiler, alors que, nous, nous voulons intégrer.

 

On a quelques avancées concrètes. On a d'ailleurs une réponse très récente de la Rectrice sur le concours des professeurs des écoles. Nous, nous aspirons à un concours unique, bilingue. Aujourd’hui, nous sommes à 50% des professeurs des écoles qui sont recrutés en bilingue. Nous voudrions donc évacuer le concours "standard". Nous, nous voulons faciliter le concours de la troisième voie, qui aujourd’hui est possible. 

 

Donc l'Etat recule. On pousse les murs. 

 

Tout à l'heure, le Président M. Simeoni, parlait de détruire le mur. En fait, on ne va pas le détruire. On va le contourner. Et s'il le faut, on peut même passer dessous s'il le faut. Il y a des gens qui ont fait beaucoup de tunnels, rappelez-vous, c'est à la mode, y compris en Palestine.

 

L’accompagnement aujourd’hui de la CTC est important en terme d'immersion. Le maître mot, pour nous, aujourd’hui, c'est l'immersion. On ne peut plus nous demander, aujourd'hui, de parler de bilinguisme. Car après, il y a des querelles de sémantiques et  de définitions. Ce qui est important, aujourd'hui, pour nous, c'est de mettre en place un processus immersif.

 

Ce processus immersif, il débute par les écoles bien sûr (nous y sommes déjà), par des centres d'immersion (je vous rappelle que l'on dépense chaque année 700.000€ rien que pour ces centres d'immersion). Canope, le fameux CRDP, on a doublé son budget car on a besoin de documents pédagogiques. L'école est importante pour nous. 

 

Ensuite, et cela peut peut-être inspirer d’autres pays, nous avons le conseil académique territorial. 

 

Nous avons demandé, à travers la convention que nous avons signée en 2016, la co-gestion du système éducatif. Ce qui permet difficile à admettre pour les énarques ou les polytechniciens. Les bergers, eux, poussent beaucoup sur ce point-là. 

 

C'est important de le dire. L’article 11 demande de cogérer l’enseignement : avoir ici les moyens presque d'une souveraineté éducative ou dans tous les cas pouvoir cogérer notamment parce que nous avons, au-delà de la langue corse, une ruralité, qui a besoin d’être soutenue, et non pas d'avoir une gestion comptable qui supprime des postes et dans les collèges et dans les écoles primaires.

 

C'est important de le leur dire. Nous ne sommes pas dans une logique comptable mais dans une logique territoriale et d'aménagement du territoire. Je le dis, ici, pour la langue mais cela vaut pour tous les autres points. 

 

Nous avons des problèmes, bien sûr comme tout le monde: la réforme du bac, les problèmes du secondaire pour lesquels nous demandons à l'État un plan de formation comme pour le primaire pour les disciplines non linguistiques.

 

On a quand-même un budget qui a augmenté, en un an, de 34%. Nous avons 3 millions d’euros. Nous sommes donc en progression. On a en perspective une campagne de sensibilisation de la société corse dès cette automne. Pn va mettre le corse dans la rue.

 

On dit souvent : « u corsu hè una lingua di tutti è una lignua pè tutti ». C’est la langue de tous, pour tous. On n’est pas, ici, dans une opposition corso-française. Je crois qu’aujourd’hui la Méditerranée nous offre le bi / plurilinguisme. Il y a deux langues qui seront, certainement majeures sur ce territoire, en tout cas, pour les années à venir. Mais il y d'autres langues. Des réalités comme la réalité de la langue italienne voire galluraise qui ont besoin, avec nous, d'exister et de co-exister.

 

Deux grandes initiatives qui voient le jour en septembre :

  • La première concerne l'immersion linguistique. Nous avons une augmentation énorme de la demande pour les ateliers gratuits, dans toutes les régions de Corse. A partir de septembre s’ouvrent "E Case di a lingua", avec vingt associations dans huit régions;
  • La deuxième concerne les médias. Nous avons un plan "médias" qui est relativement important.

Également, il y la question de la co-officialisation. Tout le monde braque les projecteurs sur ce mot. Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, nous sommes engagés dans un processus d’alternative. Comme nous étions l'alternative politique aux clans et à l'ancien monde, au niveau de la langue, nous avons un processus d’officialisation que l’on construit nous-même. 

 

Bien sûr, ce n’est pas seulement dévolu aux seuls militants politiques que nous sommes. C'est la société qui doit prendre ça en main. Les concepts de volonté politique et de volonté populaire doivent se conjuguer ensemble pour qu’on ait justement, à un moment donné, les clés d'un Riacquistu, d'une réappropriation qui soit réellement massive.

 

Si je me souviens bien, c'est Maxime Cavour qui disait: "Italia farà da sé" (L'Italie n'a besoin de personne). Je crois que la Corse se fera d'elle-même aussi. Elle se fait d'elle-même, déjà.

 

Le rapport à l’Etat, je le vois au même rang que le rapport à l’Europe et le rapport au corse. Ce qui m'importe aujourd'hui, y compris en matière linguistique, c'est le rapport à la Corse et aux Corses, aux gens qui vivent ici. C'est le premier combat que nous devons mener. Ce n’est pas un combat linguistique. C'est tout simplement le combat d’une construction nationale. La langue fait partie d’une construction nationale. Elle fait partie de tous les droits de ce peuple.

 

Il y a eu des votes, massifs, en faveur de cette langue. Il y a une stratégie. Il y aujourd’hui le concept de "langues du pain" mais avec un "S". Il y a le combat qui se joue pour l’obtention de statut, notamment via l’Unesco. 

 

Je n'aime pas la notion de langue régionale. Je ne l'utilise pratiquement jamais. Je crois que le mot important aujourd’hui pour contourner le mur de l'État, c’est une langue territoriale. Là on parle d'un territoire, d’un peuple et d’une histoire. Les « régions françaises » doivent aujourd’hui militer à des langues de territoire. Nous ne sommes pas des régions, nous sommes des nations! La nôtre a été vaincue. Elle revient au devant de la scène avec ses revendications.

 

La langue corse est un pont en Méditerranée. Et c'est surtout le moyen d'expression qui va nous permettre, certainement, d'accéder à un bi / plurilinguisme de fait.

 

Encore une fois, le corse est une langue à part entière, une langue d’Europe.

 

Je le redis aux députés. Qu’ils soient au palais Bourbon, à Strasbourg ou à Bruxelles, c’est surtout pour nous quelque-chose qui fait nation: "A lingua face nazione". C’est quelque chose qui aujourd’hui n’est pas négociable. Ce n’était pas négociable il y a 40 ans quand des gens allaient en prison, quand on manifestait sur les boulevards d’Ajaccio et de Bastia, avec des milliers de personnes.

 

Ce combat là dont nous sommes aujourd’hui les héritiers, les passeurs.

 

On va passer aux générations futures déjà tout ce combat avec toutes ses demandes.

 

On est au début de l’Histoire, tamanta strada.

 

Dans cette Histoire, notre langue est ce qui, un jour, nous aura portés dans ce combat. 

 

Merci.