Européennes : en Corse, les nationalistes jouent la carte des Verts

L'alliance historique entre autonomistes et écologistes ambitionne de porter la voix de l'Europe des régions à Strasbourg et compte « internationaliser la question corse ». 

 

De notre correspondant en Corse, Julian Mattei

 

Comme un poisson dans l'eau. À peine débarqué de son avion, vendredi 3 mai sur le tarmac de l'aéroport de Bastia-Poretta (Haute-Corse), Yannick Jadot est déjà entouré de ses soutiens. Gilles Simeoni, le président nationaliste du conseil exécutif de Corse, est là. Les principaux leaders du parti autonomiste Femu a Corsica (« Faisons la Corse ») l'accueillent à bras ouverts. Il faut dire que le candidat d'EELV aux élections européennes n'est pas en terrain inconnu dans l'île. Sur la liste qu'il conduit figure en position éligible le nationaliste François Alfonsi. Ce sexagénaire rompu au combat politique a pu se hisser à la 9e place via un accord des autonomistes avec la fédération Régions et peuples solidaires (R&PS), qui regroupe les partis régionalistes de France.

Cadre historique du mouvement nationaliste, François Alfonsi connaît bien le Parlement européen. Maire d'Osani depuis 2002, un petit village d'une centaine d'âmes à peine sur la côte ouest de la Corse, il a aussi été élu député européen aux côtés de Yannick Jadot sous la bannière d'Europe Écologie entre 2009 et 2014. À cette époque, poussés par Daniel Cohn-Bendit, les nationalistes corses et les Verts avaient déjà fait cause commune. L'origine de cette alliance ? Dans une interview au quotidien Corse-Matin, le 3 mai, Yannick Jadot évoque « une histoire ancienne et sincère de convergences sur l'écologie, la renaissance de la diversité et donc l'autonomie, c'est-à-dire le pouvoir à l'échelle des territoires ».

 

Un rapprochement « historique »

 

En réalité, ce rapprochement entre les écologistes et les nationalistes corses remonte à une trentaine d'années. En 1988, candidat à l'élection présidentielle sous les couleurs des Verts, Antoine Waechter débarque dans l'île en quête de parrainages. Il trouve des appuis du côté des nationalistes qui parviennent à dénicher les quelques signatures de maires nécessaires à sa candidature. Résultat : l'année suivante, les Verts renvoient l'ascenseur à leurs nouveaux alliés pour les élections européennes à la faveur d'un accord avec le parti autonomiste de l'époque, l'Union du peuple corse (UPC). En troisième position sur la liste des écologistes, Max Simeoni est élu en 1989. Ce médecin est, certes, le frère d'Edmond Simeoni, le père du nationalisme insulaire, et l'oncle de Gilles Simeoni, qui deviendra le premier président autonomiste du conseil exécutif de Corse en 2015. Il est surtout le premier nationaliste à avoir fait son entrée au Parlement européen. Aujourd'hui encore, à bientôt 90 ans, Max Simeoni rappelle à ce sujet que la lutte nationaliste se confond avec le combat écologiste. En 1960, c'est d'ailleurs la protection de l'environnement qui a motivé la première action aux accents régionalistes dans l'île. Edmond Simeoni et les siens s'étaient élevés contre un projet d'essais nucléaires dans le massif de l'Argentella, près de Calvi (Haute-Corse), et avaient semé les premières graines de l'autonomisme. « La préservation du territoire corse, qui est au fondement de notre lutte, fait forcément écho aux objectifs du mouvement écologiste, relève Max Simeoni. Ce combat reste d'ailleurs plus que jamais à l'ordre du jour, au regard notamment de la spéculation immobilière galopante que nous connaissons en Corse. »

 

Cette convergence de vues n'a, en outre, pas été sans poser de problèmes aux écologistes « français ». En 2001, Alain Lipietz, alors candidat des Verts à l'élection présidentielle de l'année suivante, se retrouve propulsé au cœur d'une virulente polémique. En cause : des révélations sur ses relations avec le Front de libération nationale de la Corse (FLNC) en 1989. Le député européen aurait participé à la rédaction du projet politique du groupe clandestin. L'intéressé s'en défend. Mais ces attaques, conjuguées à d'autres, le contraignent à se désister au profit de Noël Mamère.

 

« Nous croyons à une Europe qui dépasse les États »

 

Pour autant, au-delà de cet épisode, limiter les attaches philosophiques entre les nationalistes et les Verts au seul volet écologique serait réducteur. Les deux formations se retrouvent également sur la conception d'une « Europe des peuples », comme le contre-projet d'une « Union des États » qu'ils dénoncent d'une même voix. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'on retrouve des nationalistes corses à l'initiative de la création de la fondation R&PS en 1994, portée sur les fonts baptismaux pour rassembler les régionalistes de France qui mènent le même combat face au « système centraliste » parisien.

 

Cette année-là, faute d'accord avec les Verts, c'est Max Simeoni qui conduit, sans succès, la première liste régionaliste au scrutin européen. Cependant, si leur partenariat n'a pas été reconduit à chaque élection en raison de considérations internes aux deux formations politiques, le contact n'a jamais été rompu. EELV est d'ailleurs le seul mouvement à avoir pris position officiellement en faveur de la coalition entre autonomistes et indépendantistes aux commandes de la collectivité de Corse depuis 2015. Dernier exemple en date : en escale à Ajaccio le 1er mai, le député européen d'EELV José Bové est venu témoigner de son soutien à la campagne de François Alfonsi et aux leaders nationalistes. Mais, au-delà des convergences idéologiques, l'enjeu électoral est également de taille pour les nationalistes, même si tout le mouvement ne s'est pas rangé, en raison de divergences internes, derrière la cause de François Alfonsi.

 

Cet accord historique avec les Verts reste toutefois leur unique tremplin pour nourrir leur espoir d'être représentés à Strasbourg pour, disent-ils, « internationaliser la question corse » par le biais d'un « ambassadeur » de l'île au Parlement européen. « Le fait d'avoir un eurodéputé nationaliste est aussi un moyen, pour nous, de faire entendre la voix des peuples dans le concert des nations européennes, estime François Alfonsi. C'est une manière de contourner le système jacobin français, qui refuse de dialoguer en Corse. Même si la partie est loin d'être gagnée, nous croyons à une Europe qui dépasse les États. »